Le feutre et l'oeil bon (rencontre avec Jean Louis)

Deux hommes sont assis dans un carré du wagon de métro où je viens de grimper. L’un d’eux, face rougeaude, barbe Hô Chi minh et feutre enfoncé jusqu'aux yeux, se lève, tourne la tête en tous sens, semble brusquement perdu, mais reste figé sur place, m'interdisant involontairement l'accès à l’un des trois sièges libres. L’homme assis, l'oeil bon, le visage raviné par la vie, et moi-même, lui touchons l’épaule pour le sortir de sa transe et l’aider.
Le feutre : La ligne une, c’est pas là ?
Moi : Non vous devez repartir dans l’autre sens.
L'oeil bon : Jusqu’à Champs Elysées Clémenceau.
Le feutre descend en courant. Je m’assois et sort un manga.
L'oeil bon : C’est de la BD ?
Moi : C’est un manga coréen. Pas d’action, pas de violence, rien que le quotidien d’un vendeur de nouilles. « Nouilles Tchajang » d’après l’œuvre de Ahn  Do-Hyun adaptée par Chi Kyu-sok et Byun ki-Hyun.
L'oeil bon : Ca m’a l’air très beau ces aquarelles. Je ne connais pas du tout les mangas. Je vais noter la référence.
Il sort un dossier avec des feuilles couvertes de dialogues; en retourne une qu’il me tend pour que j’écrive.
L'oeil bon : Je préfère regarder votre écriture pour faire une analyse graphologique. Ces feuilles ce sont des extraits du Cyrano de Rostand que je fais travailler à des jeunes de Nanterre. Je suis dans le théâtre. A part ça je suis prof de yoga. Ca marche de mieux en mieux. Mais c'est en banlieue. Je suis quelqu'un de la banlieue.
Moi : si ce bouquin vous plait, je vous conseille de lire les mangas du japonais Jiro Taniguchi « quartiers lointains », « Journal de mon père », « Le sommet des dieux », c’est très très fort.
L'oeil bon : et vous, vous faites quoi ?
Moi : peintre et écrivain. Tiens, cela vous intéressera peut être, je viens d’écrire une pièce, Animalamlet, vous la trouverez à carnets-livres.over-blog.net

L'oeil bon : c'est fou comment ce monsieur perdu nous a fait nous rencontrer
Moi : avec le coup de pouce de votre curiosité