Ce dialogue, intitialement envoyé à la revue Nouvelles CLÉS, n'a jamais eu d'écho, c'est pourquoi je le publie sur ce blog.
Walter (le Maître de QG) : Glisser sur la boue...
Ivan (l'élève) : Pardon ?
Walter : Marcher en glissant sur la boue...
Ivan : Mais, je vais m'enfoncer ?
Walter : ...J'abaisse mon sacrum, je remonte mon périnée, je fléchis les genoux, je creuse la plante des pieds, je ne déroule pas le pieds, mes plantes glissent parallèlement au sol, mon menton est rentré, mon sternum est bas et mes épaules détendues.
Ivan : Et ?
Walter : Et… c’est la marche de l’oiseau Roc…
Ivan : Glisse-t-il « à la surface des choses » ?
Walter : Il flotte, et comme il flotte, il ne cherche pas appuie là où il n’y a pas d’appuie possible. Celui qui s’enfonce dans la boue pour avancer, qui cherche un soutient solide là où il n’y en a pas, prenant la boue pour de la terre ferme, celui là risque la chute… une chute d’autant plus violente qu’il aura cru pouvoir s’appuyer sur la boue… Son rêve prend fin dans un éclat… de boue pour la plupart…. de rire pour les autres ! Ce qui compte ce n’est pas ce sur quoi on prend appuie, boue ou terre ferme, c’est l’équilibre que l’on porte en soi. Alors peu importe le terrain sur lequel on est, puisque l’on se transforme en Oiseau Roc, et que l’on flotte en prenant appuie sur l’air !
Ivan : Alors glisser sur la boue c’est comprendre en acte que mon état psychologique ne dépend pas des conditions extérieures ? Est-ce comprendre aussi que la réalité est impermanente et insondable comme la boue ? Glisser sur la boue ce ne serait donc pas « glisser à la surface des choses », mais entrer en contact direct de façon légère, subtile et fluide avec le mouvement de la réalité, sans à-coup, sans rigidité, sans point de fixité, sans le poids de la pensée donc ? Serait-ce comprendre que je suis fait de la même matière que la boue ?
Walter : C'est construire par le corps la possibilité du choix.... le choix de la direction, de la vitesse, de suivre le mouvement de la réalité sans à-coup, ou de s'y opposer sans à-coup non plus.... c'est l'art de ne pas chuter, l'art de ne pas avancer d'abord sa tête pensante, ou sa poitrine émue ou encore son bassin désirant, c'est l'art d'avancer entier, un, uni, unifié, construit, apte! En équilibre, centré, indépendamment de l'extérieur. Le choix, c'est la possibilité du mouvement conscient et non subit, du mouvement présent, vigilant et ouvert, du mouvement libre en somme ! Mais c'est un potentiel, une possibilité dont il faut construire les fondations...
Ivan : Ne pas résister à la boue et ne rien attendre de la boue… L’épouser donc, sans aucune volonté mais totalement attentif et respectueux pour une compréhension toujours neuve dans « le miroir de la relation » (relation à la boue, relation à l’arbre, relation à l’autre…)
Tiens, tu parles de choix ? Si je suis « entier, un, uni, unifié » (intègre je dirais) il n’y a pas de choix, juste ce qui est, et le mouvement juste. Je m’explique : dans mon atelier par exemple, quand il y a choix, c’est qu’il y a problème. Quand je suis en attention totale avec l’instant, le matériau, le support, l’outil, le geste, la forme, la couleur, il n’y a pas de choix, juste un acte neuf.
Le choix n’est il pas de l’ordre de la pensée, de la volonté, de l’attente et de la projection ? Quand il y a choix n’est-ce pas le signe qu’il y a division intérieure et donc conflit ?
Walter: (Rire) Oui, nous ne parlons pas du même "choix". Il y a l'illusion du choix et le choix véritable, le choix "caché" comme on dirait en chinois.... ce qui est véritable est caché, ce qui est évident est illusoire... Poser la question du choix, c'est d'abord et avant tout poser la question du "geste créateur". Sans choix, peut il y avoir création? C'est à dire faire surgir du neuf, qui ne dépend d'aucune histoire, aucune mémoire. Le choix véritable est le choix créateur, l'autre choix ne crée rien! Ce choix créateur dépend t’il de moi? du Cosmos? de l'harmonie des deux? Cette harmonie si chère aux art internes chinois laisse entendre qui si je bouge au dedans cela bouge au dehors, et que si cela bouge dehors cela bouge dedans.... mais cette vision n'exclue pas MON mouvement intérieur, d'une telle qualité, que c'est tout l'univers qui bouge avec lui, je ne suis pas alors le jouet de la nécessité du Ciel, je suis moi même "céleste". Si mon mouvement est local, alors le geste, le choix, est illusoire... Qu'en pense le créateur que tu es ?
Ivan : Etre en symbiose avec le mouvement de l’univers, c’est être l’univers (c’est être la totalité du Square Carpeaux quand je pratique le Qi Gong au Square Carpeaux) c’est ne pas avoir de centre, c’est pouvoir agir et penser dans toutes les directions, c’est n’avoir aucune attente, aucun mobile, aucun but, aucune préférence et aucune résistance.Voilà l’état dans lequel je me trouve quand j’entre dans l’atelier le matin, ou du moins l’état produit par l’attention totale à ce contexte là, à cet instant là. Je n’ai aucune idée en tête, aucune image en tête, je ne prends aucune « décision par laquelle je donne la préférence à une chose ou à une possibilité en écartant les autres » (définition Robert). Je ne crée pas du neuf, j’entre en création et par là même je suis le neuf qui surgit d’instant en instant. Il n’y a plus celui qui crée et la chose créée, il n’y a que l’acte de créer. Je ne connais ni choix véritable, ni choix caché, le choix est toujours illusoire. Nous parlons bien sûr ici de choix psychologique et non de choix technique comme t’écrire ou te parler, apprendre le russe ou l’anglais, prendre le train ou l’avion…
Picasso disait « Si je n’ai pas de rouge je prends du bleu ». Ce non-choix (ce vide de la pensée) dissout le conflit et la déception, et permet la création. Il est source d’un amour de la vie et d’une création toujours en vibration avec le mouvement du présent. Il me permet même de dire aujourd’hui « si je suis avec Isabelle, c’est bien, si je ne suis pas avec Isabelle, c’est bien aussi » et je ne l’en aime que mieux depuis 25 ans. Cela me permet aussi de comprendre que je suis bien partout où je suis.
L’attention est non-choix, non comparaison et rayonnement.
Si je ne me compare pas, je commence à exister. Nous comprenons-nous ?
Walter : (Rire) Puisque nous parlons, nous ne pouvons pas nous comprendre... C'est même l'intérêt de l'exercice n'est ce pas ? Mais poursuivons !
Ce dont traite le Robert n'a rien à voir avec le Choix dont je parle. Le Choix dont je parle est exactement celui de Picasso ! Le rouge et le bleu sont parfaits, ce choix n'implique pas de "préférence", d'exclusion.
Est ce que nous nous entendons sur le sens de "choix" ? Apparemment pas ! Le choix tel que définit par le Robert implique conflit, division, comparaison. Passons donc là dessus, cela ne m'intéresse pas, ce choix là est exclu par ma pratique.
Prendre le bleu quand on a plus de rouge, ce "non-choix" comme tu le qualifies en regard de la définition du Robert, ne serait-il pas en fait un "régime supérieur" du choix, un Vrai Choix, un Métachoix?
Au final, ne serions nous pas en fait en train de nous demander "si je suis en symbiose avec le mouvement de l'univers, est ce que Je Suis toujours?"
Ivan : (Rire) Partis de la boue (sans y choir), nous en arrivons au constat que le mot n’est pas la chose et que choix n’est pas le choix. Il en échoit quoi ? Que les pâtes aux anchois restent un met de choix.
Bon choix m’sieurs dames.
Walter : (Rire) Ca me va très bien
Walter Peretti et Ivan Sigg Février 2011