-
Ne trouvez-vous pas qu'il est toujours difficile de parler à la fois de la liberté, du temps, de l’argent et du couple.
Ces dernières années plusieurs amis — ils ont tous entre 45 et 50 ans — m’ont fait ces réflexions qui se recoupent toutes (citations de huit d'entres eux)
- « Pour toi c’est pas pareil, c’est beaucoup plus facile car ta femme assure »
- « Tu as l’esprit libre car tu n’as pas à assurer le quotidien »
- « J’aimerais tellement peindre comme toi, mais je n’ai pas le temps »
- « Oui, mais toi tu peux avoir cette posture d'artiste car tu n’as pas besoin de gagner ta vie »
- « Moi je bosse dur comme architecte pour assurer une vie normale à mes enfants et je n’ai pas comme toi l’espace et le temps pour dessiner et écrire, ce qui est mon rêve »
- « Je ne supporte pas de gagner trois fois moins d’argent que ma femme (avec mes photos), mais toi ça ne te dérange pas»
- « Tu ne peux pas dire que tu es indépendant puisque c’est ta femme qui assure »
- « Ca changerait quoi si tu prenais un mi-temps pour assurer le quotidien ? » -
D'abord l'envie fugace de me disculper, mais je reste silencieux, ne sachant trop quoi leur répondre. Me reste à chaque fois ce
goût d'incompréhension, comme s'il projetaient quelque chose qui est eux et non moi.
Voici quelques réflexions :
Mes revenus contribuent à la moitié des frais fixes du ménage et j’achète depuis quinze ans mon atelier.
Je suis un papa à la maison, du matin au soir, qui assure 80% des repas pour quatre.
Notre fonctionnement de couple est fait de deux choix de vie individuels émancipateurs tournés vers l’attention à l’humain et d’une nécessité amoureuse de vie en couple qui fait loi depuis 25 ans :) (confirmée administrativement par un contrat de mariage de « communauté de biens réduites aux acquêts et donation au dernier vivant ».)
Ma belle a besoin de rentrées régulières, ce qui est le cas avec sa profession libérale, malgré cela elle pense toujours que nous pourrions manquer et qu’une catastrophe peut arriver, car elle se projette beaucoup dans l’avenir. Elle a défini ses horaires, sa formation continue permanente et n'a, comme moi, aucune ambition. Elle aimerait bien réduire son temps de travail et on y réfléchit.
Moi, je vis essentiellement dans le présent cultivant le risque et la vulnérabilité pour laisser la réalité advenir et le champ des possibles toujours grand ouvert. Cette attitude n'est pas rassurante mais c'est une richesse pour la famille et pour moi, non calculable en termes d'argent.
Il n’y a pas « mon argent » et « son argent », il y a « notre argent », il se trouve que mon métier d’artiste rapporte peu et le sien trois fois plus, c’est une donnée et nous l’assumons. C’est donc le couple qui « assure » et non l’un des deux conjoints.
Je suis totalement indépendant : S’il arrivait quelque chose à ma femme ou si nous nous séparions, je chercherais et trouverais aussitôt un boulot alimentaire dans l’édition ou le verre gravé « — Pourquoi ne le fais-tu pas maintenant ? — Pour être créatif à 100% et m’occuper de ma famille ».
Certains envient ma liberté, d’autres la trouvent facile, nombreux la craignent (je fais peur à mes amis et à beaucoup de décideurs).
J’aimerais dire tranquillement à tous ceux qui me font ces réflexions, que si je ne souhaite pas les contraintes horaires, techniques, financières et psychologiques qu’ils construisent, acceptent ou subissent (mais je les respecte et serais incapable d’assumer ce qu’ils endossent) : qu’eux aussi réalisent à leur tour, que pour rien au monde ils ne souhaiteraient réellement ma liberté totale car elle est synonyme de solitude, de prise de risque permanente, de remise en cause de chaque instant, de totale incertitude financière et je le répète de vulnérabilité psychologique, toutes clés d’accès à la novation.
la liberté, le temps, l’argent et le couple.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :