Hopper est né en 1882, un an après Picasso. En 1907 au moment ou Picasso fusionne les découvertes de Cézanne et l'art africain dans "Les demoiselles d'Avignon", Hopper peint des croûtes laborieuses de vues Parisiennes.
L'amérique est tellement en retard à cette époque sur le bouillonnement des recherches artistiques européennes que l'on comprend
la volonté de l'état américain de mettre le paquet après la deuxième guerre pour supplanter l'école de Paris (internationaliste). Investissement écrasant totalement réussi, en tous cas sur le
plan financier : L'art devient alors un vrai produit de conquête commerciale.
L'illustration de pub, de mode et de presse sera longtemps l'école des peintres américains. Jolis dessins de presse de Hopper où l'on reconnait ce qui deviendra le trait vivant et réaliste des comics américains.
En 1920 les gravures de Hopper préfigure tout ce que l'on va voir dans sa peinture 6 ans plus tard. Mais là où la gravure est tendue, la peinture sera
molle.
Comme chez Vermeer, les femmes attendent toutes quelque chose qui ne vient pas, lisent un billet, sont tristes, solitaires.
La lumière est belle mais froide, métallique, celle d'un soleil d'hiver bas sur l'horizon. Ce n'est pas la lumière vibrante des impressionnistes, ni les couleurs
des fauves.
La peinture est figée, la touche est molle, il n'y a aucune prise de risque. Ce sont des publicités de mode art déco agrandies.
Plus tard Wenders et Depardon (aujourd'hui) seront habités par cette même déprime qui pousse Hopper à éliminer l'humain et représenter des rues vides, des fenêtres vides, des maisons isolées.
Hopper produit une peinture vide et propre qui repose les spectateurs, et les rassure, des inventions proposées par toutes les avant-gardes humanistes.
A bien y regarder cette peinture qui caresse dans le sens du poil est pleine de fentes, de trous noirs, de gros seins mis en lumière et de jambes nues.
Hopper produit une peinture sans joie habitée par un désir inassouvi.
On comprend que ces situations d'attente, ces décors vide, cette frustration sexuelle qui sourd, aient inspiré une partie du
théâtre contemporain, tout en rétention.
On finit l'exposition par "Sun in an empty room" : la femme a sauté par la fenêtre, il n'y a plus que la lame du soleil qui
découpe des angles vides. Quel constat !
"Nighthawks" (les quatre personnages dans le Phillies Bar) reste la toile la plus intéressante, la plus riche, celle qui échappe. L'histoire a bien fait son choix.
Quant à la plus belle oeuvre du couple de peintres Joséphine Nivison et Edward Hopper, c'est le carnet qu'ils ont tenu toute leur
vie et dans lequel ils tenaient leurs comptes : croquis de la peinture terminée par Edward (superbe), description de l'oeuvre par Jo et notes sur les acheteurs et le prix. "Edward Hopper de
l'oeuvre au croquis" (éditions Prisma) reproduit ce carnet magnifique et maniaque.
Dans le croquis de Nighthawks, le personnage de dos est bien au centre physique du tableau ! Jo dit que la femme mange un sandwich
: elle rêve, ce n'est pas un sandwich, c'est de l'argent.
Prochain post : une lecture de Nighthawks