Voilà 20 ans que je trimbale cet article de Gérard Lefort (chroniqueur de Libération) dans mon portefeuille et chaque fois que je
le lis a une table, les convives se pissent dessus. Ce gars là est un génie et son article est un sommet.
LE ROCHER DE CONNACO
Comme un démon qui la ronge du dedans, c'est une tentation sourde de la publicité de pousser son autoparodie jusqu'au risque
d'un simulacre suicidaire. Pour l'exemple, avec un rien de mélancolie, Chantal Lauby, historique déglingueuse des Nuls, récemment enrôlée-récupérée dans la pub pour les bonbons La
Vosgienne.
Reste que sur ce terrain glissant de la pub plus mâline que son ombre, il y a beau temps que deux occurrences historiques ont
pris mille longueurs d'avance. Il s'agit évidemment de ces deux blocs d'éternité jamais égalés que sont Ferrero Rocher et Mon Chéri, modèles d'autant plus avant-gardistes qu'ils ne font pas
exprès de l'être. Valérie Lemercier, radar bien connu, ne s'y est pas trompée en rendant hommage à Ferrero Rocher par une chanson de son disque intitulé "Les Réceptions de l'ambassadeur". C'est
en effet à l'occasion d'une réception chez l'ambassadeur que vont être dealées les boules de Ferrero Rocher. Mais n'anticipons pas...
Bien qu'une voix off d'une pénétration quasi sexuelle tente de nous persuader que "les réceptions de l'ambassadeur sont
réputées pour le bon goût raffiné du maitre de maison qui charme toujours les invité", tout, à l'image, nous hurle le contraire : rien que le style Louis de Barbès du mobilier et le dresscode
Helmut Kohl de l'ambassadeur invitant. Mais ambassadeur de quel pays au fait ? Le Pétasse-land ? La principauté de Connaco ? On pencherait volontiers pour cette dernière hypothèse étant donné la
forte recrudescence de fausses blondes et de vrais moumoutés qui s'échinent à ingurgiter avec force sourire un liquide d'un jaune douteux qui hésite entre la mauvaise décoction de sucette et un
invendu de Banga. Heureusement, pour tout oublier, il suffit d'un hochement de tête de l'ambassadeur à son majordome. Ce vieillard accort déboule, porteur sur un plateau d'une pyramide de grosses
boules enveloppées de papier doré. A voir l'extase exorbitée des invités et leur ardeur à s'empiffrer, tout porte à croire que ces boules à l'oeil sont de shit gratos. Peau de balle, c'est du
choco ! Ce qui n'empêche pas une blonde, qui vient sûrement de remporter le Babyliss d'or, de se jeter sur le dealer et de lui susurrer : "Vous nous avez vraiment gâtés." Gâtés,
dit-elle...
Insurmontable dans le même registre crazy-confiseur, la Mon Chéri qui par le truchement de son style documentaire "surboum
chez des cadres sup' bavarois" n'est pas sans évoquer le prélude d'un porno. Donc, Christine fait sa quant-à-soi finaude en remplissant une jatte de Mon Chéri, tandis que son époux sans prénom,
mais pas sans fixateur gélifiant, lui rappelle que leurs invités n'aiment pas les friandises, avec cette moue salace qui semble suggérer qu'au train où peuvent aller les choses, une brouette de
capotes serait peut-être mieux vue. A la fin de la soirée, a pu de Mon Chéri, et Christine, salopissime, peut surjouer la triomphante en tentant la cochonne pendue sur le bras du canapé. Or
Christine a tort : primo, parce qu'à en juger l'état nickel de sa permanente, la partouze domestique a tourné court. Deuzio, parce qu'elle n'a pas encore ressenti les premières torsions de la
crise de foie carabinée qui suivra immanquablement l'overdose d'un truc aussi révoltant.
Gérard Lefort (in "La vie en pub". Libération)