Bernard : Je viens de terminer d’écrire un livre sur l’acte de croire et, selon moi, la croyance est un bloc discursif, reçu sans doutes, ni critiques ou même réflexion. La croyance, c’est l’absence de doute. Freud parlait ainsi du croire comme « Interdit de penser ».
Ivan : Ce que je constate dans ma vie, me fait dire que « croire, c’est penser ». Croire, c’est se référer au connu face à l’inconnu, c’est faire appel à notre conditionnement (tout ce que l’humanité, la société et nos parents nous ont inculqué) pour expliquer le monde, plutôt qu’à notre perception, pour se sécuriser ; croire c’est enfiler sur son nez les lunettes étriquées et déformantes du connu (le passé) pour voir le monde.
Bernard : Mais non, pas du tout ! Croire est passif et impersonnel alors que penser est une activité constructive personnelle (mais le flou actuel qui prédomine dans l'usage de ces termes peu leur faire dire tout et n'importe quoi).
Ivan : Ne pas croire, c’est observer le monde sans la réaction protectrice du cerveau qui avant tout mesure, compare, accepte, rejette et juge. C’est ETRE — vivre intensément le présent — et non DEVENIR. Le passé et le futur n’existent pas, le temps lui-même (pas le temps physique mais le temps psychologique) n’existe pas ailleurs que dans la pensée. Temps, passé et futur sont des projections de la pensée sur ce qui est. A l’instant t, je ne suis que ce que je suis.
Bernard : Non, tu es ton histoire et l'effet de tes relations, plus la poussée de tes désirs vers le non-encore advenu. Tout d'abord je dois te dire que tes références au "cerveau" me gènent car cet organe ni ne pense ni ne croit; ses cellules ne font que permettre des émissions ou perceptions de signaux auxquels seuls les rapports interhumains peuvent donner forme et sens. Quant au présent ce n'est que l'interface virtuelle entre ce qui fait histoire et mémoire d'une part et, d'autre part, ce que créent désir et imagination.
Edith : le présent est atemporel.
Ivan : Oui, le présent, c’est ce qui est neuf d’instant en instant, c’est le mouvement et le changement permanent, c’est la vie et la mort à chaque millième de seconde, c’est l’inconnu qui surgit. Oui le présent est atemporel. Le présent EST éternité et infini.
Bernard : Shémas bien abscons car s'il n'y avait pas de l'ancien, du passé, il ne pourrait pas y avoir du "neuf "! Quant à "éternité", "infini" serais-tu mystique ?
Ivan : Ce n’est qu’en me déconnectant du connu que je peux entrer en contact avec l’inconnu, c’est à dire en supprimant la distance et le temps entre moi et ce qui est. Le fini, ce qui est limité (ma conscience est limitée à son propre contenu étriqué) ne peut pas me permettre d’accéder à l’infini. Par définition, si j’y accède ce n’est plus l’infini. Je m’affranchis donc du passé ( la mémoire ) en entrant dans un état de réceptivité, d’ouverture et de vulnérabilité au présent. Il n’y a ainsi plus d’identification, de mimétisme, de soumission à une quelconque autorité intérieure ou extérieure, d’acceptation, de rejet.
Bernard : Beaucoup de grands philosophes on dit qu'on ne peut pas penser en ignorant le passé. Car le passé est la réalité dont se fait l'histoire.
Ivan : Schopenhauer et Les bouddhistes disent que seul le présent est. Je dis même que la pensée (qui est une réaction de la mémoire aux stimulis du réel) c’est le passé. Le passé et le futur sont des inventions de notre vieux cerveau qui se projette et invente l’avant et l’après pour fabriquer une continuité par peur de l’inconnu, peur du vide, peur de l’au-delà des choses. Il suffit, pour le comprendre, de voir ces astrophysiciens du big-bang qui produisent dieu en dernière explication. Nous ne sommes jamais dans l’ETRE mais dans le DEVENIR car notre psychisme invente le temps pour repousser la mort, nos peurs, notre ignorance, notre vide intérieur fondamental et le vide sidéral.
B : Mais c’est l’espérance et le désir qui nous meuvent !
Ivan : Et qui créent cette chaîne asservissante du désir-plaisir-satisfaction/instisfaction-souffrance. Il n’y a pas de nature humaine, seulement des processus de pensée tordus. Au cours des millénaires nous nous sommes habitués au conflit à la division et à la souffrance en nous persuadant qu’elles étaient incontournables. Pourquoi ne pas s’en affranchir ? Pour cela, affranchissons nous de nos attentes, de la volonté, du vouloir, du désir en étant totalement perceptifs, c’est-à-dire dans une attention à nous-même et au monde, la plus lucide et intense.
B : Et tu vas me dire que l’inconscient n’existe pas ?
Ivan : Si, l’inconscient c’est notre mémoire profonde (des chaines neuronales endormies, inhibées, interrompues, bloquées…). Je constate dans ma vie que par une attention pénétrante (l’écoute et l’observation sans jugement, sans identification, sans acceptation ou rejet ) je me déconnecte à la fois de l’inconscient et du conscient — le psychisme étant vécu comme une globalité non segmentée— et je ne souffre plus car je suis en phase avec la vibration du présent. Il y alors adéquation entre le mouvement extérieur (mon environnement, la nature, la planète) et le mouvement intérieur. Je découvre dans le même temps que mon vide intérieur, le vide de la matière et le vide de l’univers sont une et même chose et que ce vide est créatif.