Je croise partout des images au Japon, dans le métro, dans les musées, dans les bars. Elles emplissent mon champ visuel et me surprennent. Elles font partie de mon quotidien. Elles deviennent matière à création au même titre que les musiciens, les passagers du métro, les fils électriques aériens, les kanji, la coiffeuse, les pierres de rivières, la calligraphie, les paysages...
Ce "Flyer remix" mêle peinture acrylique, wax oil pastel et collages. C'est la rencontre improbable entre le moine bouddhiste sculpteur Enkū, l'artiste Ryan Gande, le graphiste Tadanori Yokoo, et ma pomme.
Ce samedi matin, la brume et le crachin couvrent les sommets de Kōbe alors je pars visiter le Yokoo Tanadori Museum Of Contemporary Art. Beaucoup de couleurs pop, une belle énergie et beaucoup de recherches différentes mais... ?
Être au bon moment, à la bonne période, à la croisée des chemins et de l'histoire ? C'est sans doute ce qui est arrivé à Tadanori Yokoo. En 1967, il est le vecteur de la rencontre de la tradition picturale japonaise (gravure érotique au trait, aplats de couleurs vives, épure de l'image, présence de l'écrit dans l'image) avec le pop art de Warhol, Tom Wesselman et Rauschenberg. Mais aussi avec l'imagerie de l'hindouisme hippie ! Et enfin, excusez du peu, avec toute la révolution musicale des années 60 avec la rencontre des Beatles, de Pink Floyd et de Santana (entre autres) dont ils va faire les pochettes. Ces circonstances produisent un très bon graphiste, reconnu dès 67 par les musées américains !
Ainsi se rejouait ce qui s'était joué en France au 19e siècle avec l'arrivée des gravures japonaises qui avait fasciné les artistes peintres ?
En 1980 une rétrospective de Picasso impressionne Tanadori mais il n'empruntera aucun des chemins proposés par le grand chercheur Espagnol. Tanadori ne réinventera ni la forme, ni la touche, ni la technique.
En 1981, il découvre en France, la peinture de Picabia (qui marque la Peinture aux USA depuis les années 50) ainsi que Sigmar Polke, David Salle, Sandro Chia, Clemente, Kiefer, Cucchi et Schnabel. Ces peintres bousculent Tadanori Yokoo et le poussent à abandonner le graphisme pour une "bad painting" expressionist.
Pendant la visite de musée, les questions se bousculent dans ma tête :
Comment un bon graphiste peut-il produire une mauvaise peinture ?
Qu'est-ce qu'une bonne affiche ?
Qu'est-ce qu'une mauvaise peinture ?
Est-ce que je m'identifierais à cette quête désordonnée de graphiste-peintre ?
Puis je dire qu'il y a essentiellement du kitsch et du mauvais goût chez Tadanori Yokoo à partir de 1981 ?
Qu'a-t-il perdu dans le passage de l'à-plat à la touche, de la sérigraphie à la brosse ?
Pourquoi a-t-il totalement rejeté sa culture japonaise savante et maîtrisée, au profit d'une peinture occidentale déconstruite et commerciale ?
Quelle production ! Je suis impressionné. Mais où est sa proposition non américaine, vraiment personnelle ? Sans doute dans les décors expressionists du ballet Dyonisos de Maurice Béjart avec Jörg Don en 1984 où le chorégraphe fait se rencontrer Wagner et Mishima...?
Je me présente à la curator et lui explique poliment mon regard (tout ce que je viens de dire ci-dessus), toutes les questions que soulève en moi cette exposition, ainsi que mes étonnements et mon grand intérêt paradoxal. Elle me remercie et m'invite à une soirée de musique indienne.
Je mange un bon sandwich végétarien au Panda café du musée. Mon assiette est pleine de têtes de morts ! Puis je retourne à mon atelier pour métaboliser et comprendre en peinture tout ce qui vient de m'arriver.
Museum Architect : Murano Togo (refurbished in 2012)