Le 2 Décembre 2010, à l'Hopital Leopold Bellan de Paris, j'ai pu assister à la dernière table ronde du groupe de recherche Philoctètes dont le thème était
LA PASSION ET L'AUTRE
Le débat était animé par Annaik Feve, neurologue,
docteur en neurosciences et psychanalyste; il
mettait en présence :
Vittorio Gallese : Professeur de Physiologie à l'Université de Parme, codécouvreur des neurones miroirs
Marie Josée Manifacier : neuropsychologue et docteur en Philosophie
Philippe Adrien : Metteur en scène, directeur du théatre de la Tempête
Les propos de M. Gallese étaient passionnants : Les neurones miroirs s'activent "en faisant l'action" ou bien "en voyant
faire l'action". Ils entrent en jeu dans l'apprentissage par imitation et dans l'empathie. VG remplace la phrase de Descartes "cogito ergo sum" (je pense donc je suis) par un "ago sum" (j'agis
donc je suis), ce que j'exprimais déjà de mon côté par "je perçois donc je suis" ou de façon plus caustique par "je ne pense pas donc je suis". VG nous expliquait que la recherche montre la capacité du nouveau né à faire la différence entre "se toucher" et "toucher l'autre",
capacité prélangagière donc. Pour VG, l'empathie est neutre et nous sommes prédisposés, à la naissance, à rencontrer l'autre (rejoignant en cela François
Roustang et son "état neutre", Milton Erickson et son "inconscient bienveillant" et Jiddu Krishnamurti et son "attention sans jugement"). Le nouveau né cherche l'interaction et y répond. Les rôles de la vision et du toucher sont essentiels dans la relation.
Hélas le débat s'engluait très vite dans Les clichés de Mme Manifacier : "on ne sait pas pourquoi on s'identifie plutôt à un patient qu'à un autre, on ne saura peut-être jamais" ou "La passion est toujours souffrance"; ainsi que les clichés de M. Adrien : "La création s'appuie sur la souffrance, sur la passion tragique, sur le conflit, c'est dans la nature de l'homme."
Je leur pose la question : L'humain n'est-il pas tellement habitué au conflit intérieur et extérieur, et donc à la
souffrance, qu'il n'arrive plus à voir le monde sans ces lunettes déformantes ? Et si le conflit n'était pas dans la nature humaine mais provenait du processus de
pensée lui-même, qui divise parce que la pensée est mécanique, limitée et toujours vieille (en ce sens qu'elle est une réaction de la mémoire)? La perception préverbale, elle, est
illimitée et toujours neuve. Quand je suis dans un état d'attention sans jugement, de perception bienveillante, il n'y a pas de conflit (et le soignant n'a donc plus de choix devant les
patients). N'est-ce pas cela l'empathie ?
La passion est un sujet casse-gueule car elle vient du latin patior (souffrir). Mme Manifacier et M.Adrien nous parlaient en
fait tous les deux du désir qui, parce qu'il a une attente , nous installe inéluctablement dans le cercle plaisir/souffrance. La passion à mon sens n'a pas de but, pas de mobile, pas
d'attente, et plutôt qu'une souffrance, je la comprends comme une intense attention au monde, une formidable bienveillance; aussi, elle n'est ni plaisir ni souffrance, mais Joie.
L'empathie n'est-elle pas l'état — sans choix et sans identification (=neutre) — de "voir et comprendre la souffrance
de l'autre" (plus globalement son état psychologique), quand la compassion, elle, est l 'état de "souffrir avec l'autre" ?
Commentaire posté par IsisBi :
Merci, super !
Commentaire posté par eMmA :
Toujours passionnant de te lire, Ivan. Et en plus c'est un plaisir d'admirer tes illustrations.
Je suis d'accord avec ta vision de l'empathie, car on demande aux conseillers des Call Centers d'être en
empathie avec leurs clients et ils ne peuvent l'être qu'à condition d'être neutres...
Merci de nous faire réfléchir.
eMmA