La connaissance est nécessaire dans les domaines mesurables et comparables, c’est à dire : la technologie, la médecine, l’agriculture, les transports, le fonctionnement des villages et des villes... Et l’on constate des « progrès technologiques » permanents depuis que l’homme est apparu sur terre.
Il en va autrement dans le domaine psychologique, où la mesure et la comparaison n’ont pas lieu d’être (qui a jamais entendu parler de progrès psychologiques ? Nous sommes restés psychologiquement totalement primitifs ). Pour le psychisme, la connaissance est la racine même du désordre, parce que la connaissance est le passé. La connaissance est toujours limitée parce qu’elle est basée sur l’expérience, les hypothèses, la mesure, la comparaison, les conclusions, c’est une chaîne, la somme de ces éléments, et de ce fait toujours limitée.
Ainsi en va-t-il des révolutions. Elles ont toujours été liées à la connaissance. Les révolutions se sont toujours basées sur l’expérience, les hypothèses, les conclusions, les idéaux, qui sont le passé, jamais sur le présent en train de surgir et de disparaître d’instant en instant. Les révolutions se sont toujours construites sur le mesurable, le comparable, le quantifiable.
La vraie révolution ne nous propose pas un nouveau gouvernement, des jours meilleurs à venir, des augmentations de salaire, ou plus de liberté, mais un miroir qu’elle pose devant nous pour nous permettre de nous voir et quand nous nous voyons très clairement, nous pouvons briser le miroir et oublier ceux qui ont fabriqué le miroir (La terrible flamme offerte par Mohamed Bouazizi était l'un de ces miroirs).
Et qu’est-ce que nous voyons chacun dans ce miroir ? Que nous sommes égoïstes, aveugles devant la beauté du quotidien comme devant la misère, avides, envieux du voisin, ambitieux, compétitifs, censeurs, arrogants, fiers, violents, peureux, accumulateurs (toujours plus, toujours plus grand), consommateurs, irrespectueux (des femmes, de la terre, des enfants), fuyants le réel (dans la nourriture, l’alcool, les loisirs ou la religion), colériques, haineux, pervers… Quand nous le voyons vraiment, sans nous juger et sans volonté de changer, alors la révolution prend effet. Car la liberté c’est l’acte intense et instantané de voir tout cela.
La simple perception de « ce qui est » (= attention totale au mouvement du présent) est le début du démantèlement de la mesure de l’esprit, de ses frontières, de ses schémas. Cette transformation du processus psychique lui-même est la vraie révolution — une pensée-action — toutes les autres sont des ré-actions.
Percevoir, c’est observer le tout (intérieur et extérieur) sans mettre en œuvre la pensée. La pensée ne peut pas produire la liberté ( = La révolution) parce que la pensée — comme réaction de la mémoire aux stimuli du réel — est toujours conditionnée et donc limitée.
Ivan Sigg discutant avec Jiddu Krishnamurti (pédagogue-philosophe 1895-1986)