Femme assise entre Place Clichy et Colonel Fabien. Trentenaire très jolie. Elle ouvre un petit carnet à dessin à couverture
jaune. C'est très rare dans le métro. Elle croque l'une des voyageuses de la rame. Un très bon coup de crayon. Je n'arrive plus à lire mon SAYA (de Richard Collasse) car j'ai furieusement envie à
mon tour de sortir mon carnet noir pour la croquer. Son modèle descend, elle ferme son carnet, je n'ai eu le temps de rien ! Je cède ma place à une dame agée et me retrouve debout face à la
croqueuse. Ouf, elle se remet à dessiner... bah, une sorte de dessin géométrique automatique et proliférant. J'attrape vite mon carnet, je trouve un feutre (un peu trop gros) mais pas mes
lunettes et hop la voilà qui surgit sur ma page. Un peu de salive pour les ombres (la fameuse technique du feutre bavé de François Miehe). Je sens qu'elle m'a vu. Je vais le lui montrer. Je suis
prèt. mais pas un instant elle ne lève les yeux. Deux stations plus tard, sourire aux lèvres, elle se lève et descend, paisiblement. Un homme me sourit, il a tout vu, je lis son désapointement :
malgré mon manège d'approche, le lien ne s'est pas instauré et l'échange ne s'est pas produit.
Autre jour, autre
femme assise, formidablement ronde. Son majestueux séant épouse la moitié de la méridienne rouge qui la reçoit. C'est madame la fameuse ouvreuse du mythique Cinéma S. Entre deux séances,
elle feuillette "Voici"dans ce vieux halloblitéré par de pieds de stars. Assis en face, je la croque dare-dare au bic. J'aimerais lui offrir ce dessin. Soudain elle
est devant moi rugissante :
— Donnez-moi ça !
— Il n'est pas terminé.
— Je vous dis de me donner ça ! Ni photo, ni dessin !
— Je vais le terminer, le signer puis vous le donner.
— Dépéchez-vous de me donner ce truc!
— C'est la première fois que l'on me fait ça
— Y a un début à tout !
— Voilà, il est fini.
Elle arrache la page de mon bloc et va s'enfermer dans sa guérite à tickets.