Marc Bernadac m'écrit ce qu'il pense de mon roman "L'annonce faite à Joseph" (Julliard) :
"Ivan, quand tu achèves un livre et que tu fouilles jusqu’à la troisième de couverture afin de t’assurer qu’il n’y a plus trace d’écriture, cela révèle le plaisir du lecteur. L’évocation de l’enfance est loin d’être aisée. Je ne paraphraserai pas à ta façon le grand Marcel (dont hasard c’est la fête ce 31 janvier) avec le bonneheure irrévérencieux que tu as su y mettre. Non, c’est sa dernière phrase que je vais citer, nettement moins célèbre, mais celle-ci me parait coller comme un gant à l’élégance de ton récit à laquelle la trivialité que tu y parsèmes (moi je dirais l’humanité) n’attente jamais : « Si du moins il m’était laissé assez de temps pour accomplir mon œuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force aujourd’hui, et j’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes, - entre lesquels tant de jours sont venus se placer - dans le Temps.»
Quelle imp(r)udence d’écrire après cela. Cependant je continue.
Vladi, qui se nourrit du sang des siens tout autant que de sa propre substance vitale ne s’apparente pourtant en rien au Vlad Tepes/Dracula de B. Stoker. Il n’achève jamais ses victimes et nourrit pour elles un attachement immodéré. Prévenant à l’égard de ses prétendus tortionnaires, il souffre d’un Syndrome de Stockholm démesuré vis-à-vis de son géniteur. Les courts paragraphes de « Alors il dit » qui closent le récit invalident le credo de Vladi - auquel on n’a jamais cru : imPère et passe - dans une émouvante compréhension : «C’était quasiment invivable d’être moi-même à l’intérieur de moi…Désolé pour les dégâts extérieurs… ». Extérieurs seulement ? Autre interrogation, quand le petit Vladi a-t-il enfin perçu cela ? En 74 ou à trente balais permettant de mieux essuyer derrière soi ?
Vladi « écrit ses rédactions dans la souffrance et les larmes jamais dans la joie et le rire » parles tu du sujet de tes écrits ou de leur mise au monde ?
Rassurons le lecteur potentiel cela déborde de joie et de mes éclats de rire tout au long du récit. Les vacances à la neige sont inénarrables. L’Ode Ouateaire est un pur bijou de vérité réaliste. Souffrance et larmes ne font que passer afin de prouver que nous sommes bien vivants. La langue Sigg est bien là, moins foisonnante que dans la Touffe mais tout aussi savoureuse. Le Tempspasse est plus qu’un jeu de mot. Le « blocage emmental » pathologique, valide les origines suisses. Et de pures réussites excitent les papilles, voire au delà : « Gigi le sauteur a installé un antique projecteur 8mm, du genre qui met en cloque la pellicule très régulièrement, pour enfanter des entractes », « ils grimpent comme des moutons…en courant à perdre la laine », « dans l’enceinte en ruine, où le curé du village rassemblait les rejetons de ses oies pour leur annihiler la délinquance ». A noter que la façon dont tu te CONfronte au sexe est proprement jubilatoire car seulement adossée au désir du plaisir.
Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, je plaide coupable, mais la contemporanéité parfaite que nous partageons rajoute un surplus d’émotion à ton récit. Mon bonus perso où de si nombreux gimmicks flattent ma mémoire : 68 (n’en déplaise aux gens de petite taille), la mort d’Allende, El pueblo unido…, les Gallia filtres (que fumait ma mère), Pif gadget (les pois sauteurs), le Masque et la plume, c’est une radio qui s’écoute très fort pendant le repas et dans un silence religieux, (aujourd’hui le générique de cette émission m’émeut chaque fois qu’il démarre car j’attends les voix de F. R. Bastide, G. Charrensol et J.L. Bory qui ne viennent plus), les énormes gentleman cambrioleurs (l’ile aux trente cercueils)… Pour ces madeleines du Père Marcel que je convie à nouveau ici, sois en remercié. Mêlant rugosité et légèreté, à l’image de la vie, ton récit fut le plaisir de ce week-end. Une question me tarabuste encore : Est-ce que d’avoir de grands pieds implique que celui qu’on prend (de pied) en est accru d’autant ? J’attends avec gourmandise l’outrecuidance de ton « Ile du Toupet » ? Amical chapeau bas. Marc.