Habib : parle-moi de la volonté chez l'enfant.
Ivan : en général ? Ou bien tu penses à un enfant en particulier ?
Habib : aux miens pour commencer. Je me pose la question de leur faire faire de la musique. Mon garçon (11 ans) m'a dit qu'il aimerait jouer du piano mais je le connais, il va abandonner au bout de deux leçons. Quant à la grande, elle nous a pourri la vie pour arrêter la clarinette en quatrième année et maintenant à 25 ans elle regrette amèrement que nous n'ayons pas insisté...
Ivan : la question est très difficile. Je constate que dès qu'il est question de volonté, d'effort et de concentration, tout devient problématique et la compréhension est dénaturée. C'est vrai pour l'adulte comme pour l'enfant. C'est le cas de mon fils (11 ans) : Légos, kaplas, figures en patinette, impro à l'accordéon ou au piano, lecture de romans, aucun problèmes. Par contre, pour ce qui est de la concentration en cours, des devoirs, du solfège et du travail d'une partition, là il renacle. Voilà un gros problème de pédagogie : dès que l'apprentissage n'est plus ludique, dans le mouvement de la vie, et qu'il s'apparente à de la répétition et de l'accumulation de savoir, dès que l'apprentissage tend vers un but donné (le programme, des notes pour le bulletin, reproduire un morceau), il y a rejet. Manière pour l'enfant d'échapper à la pression et aux projections de l'adulte ?
Mon fils sait que le collège est obligatoire jusqu'à 16 ans et il n'en discute pas le bien fondé même s'il n'en comprend pas l'utilité. Quand je vois tous les travers de l'école publique, je me pose aussi des questions sur son utilité, surtout quand à l'épanouissement et l'émancipation de l'enfant...
Pour ce qui est de la musique nous avons dit à nos enfants que maintenant qu'ils ont commencé, le conservatoire était obligatoire jusqu'à 16 ans et qu'ils auraient ainsi des bases solides.
Habib : Et, dis-moi, quand tu vois un gamin handicapé physique de 8 ans réitérer opiniatrement, et rater des centaines de fois, son geste pour arriver à tirer à l'arc ? Est-ce que tu appelles ça de la volonté ?
Ivan : je ne saurais te répondre sans l'avoir vu. Il faut une observation fine pour comprendre. Quel désir l'enfant a-t-il à atteindre une cible ? Vise-t-il l'excellence ? Se compare-t-il aux autres enfants et veux-t-il faire "aussi bien qu'eux" ? Répond-il au désir de ses parents (conscient ou inconscient) en voulant surmonter/gommer son handicap ? Il n'y a peut-être là aucune volonté et juste la joie de dénouer et faire vibrer ses muscles ? de leur redonner vie ?
Quel que soit l'enfant, il me semble que c'est son attention, sa curiosité, sa créativité que nous devons contribuer à éveiller et non son désir d'immitation, d'identification ou de compétition.
Suite de la discussion
Habib : Tu dis, "nous avons dit à nos enfants que maintenant qu'ils ont commencé....c'était obligatoire jusqu'à 16 ans" cela veut dire que s'ils décident (j'imagine qu'ils ont décidé) sur un coup de tête de faire du piano à 6 ans et qu'au bout de quelques mois ils en ont ras le bol, c'est tant pis, ils en prennent pour dix ans ?
Ivan : Ils n'ont rien "décidé". C'est nous qui leur proposons, pour leur éveil, ces fondamentaux que l'école ne leur offre pas : d'une part l'écriture plastique (ils baignent dedans à la maison) et la lecture des images, c'est à dire tout ce qui à rapport avec le sens de la vision. D'autre part le développement du sens de l'écoute, par la pratique d'un instrument, la lecture et l'écriture musicale (là, c'est hors de nos compétences alors ils vont dans une école particulière : le conservatoire.
"Obligatoire jusqu'à 16 ans" est une formule. Cela veut dire que c'est un apprentissage technique et psychologique assez long, qui se vit au jour le jour, en adaptant, en soutenant, en écoutant, en gueulant parfois, en réorientant, en allant au concert, en s'émerveillant avec l'enfant, en partageant nos musiques, en introduisant des outils informatiques...