L’humanité est en état de crise profonde parce que nous ne sommes pas sensibles au processus de la
vie. Notre problème fondamental est donc, désormais, non pas le moyen d’arrêter les guerres, ni de prétendre qu’un dieu est meilleur qu’un autre, ni que tel système économique ou politique
surclasse tel autre, ni quel parti politique il faut soutenir (ils sont tous plus ou moins tordus), mais le problème fondamental pour l’être humain, qu’il soit en France, en Amérique, En Afrique,
en Chine, en Russie, en Inde ou n’importe où, c’est la question de s’affranchir de « notre ornière de vie ». Cette ornière c’est nous-même, c’est notre processus de pensée trivial et rétréci,
c’est notre conditionnement, notre moi. C’est nous qui avons créé cette ornière, parce que notre psychisme est fragmenté et, par conséquent, incapable d’être sensible à la totalité de ce qui
est. Cette ornière de vie, nous voulons la sécuriser, qu’elle soit paisible, satisfaisante, tranquille, agréable, pour éviter toute souffrance, parce que dans le fond de nous-mêmes, nous
recherchons toujours le plaisir et la satisfaction (d’où le mimétisme, l’identification, la répétition, l’habitude, le rejet, …) Si nous examinons notre désir (c'est aussi notre vouloir, notre
espoir...), si nous l’observons, le regardons, l’approfondissons, nous voyons que partout où il y a plaisir, il y a souffrance. Nous ne pouvons pas avoir l’un sans l’autre. Or, nous avons
toujours soif, ou de faire durer, ou de renouveler, ou d’accroître le plaisir, et ainsi nous sollicitons la douleur. C’est sur ce principe que nous avons structuré ce fragment que nous
appelons la vie humaine. Voir vraiment, avec une extraordinaire sensitivité (pas avec l’émotion ou le sentiment qui évitent les faits), c’est rentrer en contact intime avec tout cela, et je ne
peux le faire si j’entretiens en moi des concepts, des théories, des croyances, des dogmes ou des opinions.
L’acte de voir et d’écouter en étant affranchi du connu, c’est l’acte d’aimer.
Quand nous prêtons une attention complète, autrement dit quand l’esprit est immobile (sans réaction de la mémoire) et que sont pleinement engagés nos yeux, nos oreilles, notre corps, notre cœur
et nos nerfs, nous nous apercevons qu’il n’existe plus aucun centre, il n’y a plus d’observateur et, par conséquent, il n’y a pas de division entre la chose observée et l’observateur ; le conflit
est alors totalement annihilé, ce conflit qui est né de la séparation, de la division. Alors, je comprends qu'il n'y a que ce qui est, dans l'instant présent, et je ne suis que ce que je
suis.
Ivan discutant avec Jiddu