Vieil homme : figurez-vous que juste avant votre arrivée miraculeuse, nous venions de faire une compétition. Nous avons fait le tour du Parc en réalisant la marche arrière la plus rapide du monde ! certains trichaient en fixant de grandes roues à des fauteuils. La chef avait un manomètre et notait nos temps de passage. J'aime bien ce jardin, mais l'autre jour, il y avait Le Pen, en chair et en os, planqué dans les buissons. Il a passé la journée à nous observer. Il est très vieux, mais bien conservé.
Moi : et si vous me parliez de la conférence que vous allez donner à vos coreligionnaires de la maison ? En avez-vous arrêté le titre ?
Vieil homme : ce sera "Souvenirs de la tuberculose" ! Ça sonne bien, ne trouvez-vous pas ? Ma conférence repose sur la mémoire. Pas de documents. Pas de livres.
Moi : tout dans la tête.
Vieil homme : oui, je vais essayer d'introduire plusieurs cas vécus. Quand la technique du pneumothorax a été épuisée, faute de clients car on avait trouvé un antibiotique supérieur, une nouvelle méthode a eu beaucoup de succès, à juste titre.
Moi : quelle était cette révolution ?
Vieil homme : on sectionnait plusieurs côtes. C'était une sacré boucherie, mais c'était très efficace. Je vais vous faire un schéma. Plus le poumon se réduit, mieux on agit sur les lésions tuberculeuses, car ainsi on prive le bacille d'oxygène. Si vous coupez les côtes qui sont imbriquées en haut du poumon, le poumon qui est engainé se décroche et se ratatine.
Moi : Comment fait-on pratiquement ?
Vieil homme : Ça se réalise avec une pince à gouge qui se termine par deux crochets. On casse les côtes en deux, Craaac ! C'est archi classique.
Moi : Et comment procède-t-on pour le pneumothorax ?
Vieil homme : cela consiste à faire pénétrer de l'air entre les deux plèvres du poumon. C'est une invention extraordinaire. On pique avec un trocard entre deux côtes. À un moment on tombe sur une pression positive, alors on sait qu'on est entre les deux plèvres. On injecte alors 500ml d'air qu'on laisse se répartir des deux côtés. Puis, toutes les semaines, on rajoute de l'air. Un poumon rétracté combat beaucoup mieux la tuberculose.
Moi : c'est la seule méthode ?
Vieil homme : non, il y a plusieurs méthodes qui s'inspirent de ce colapsus du poumon. On faisait la même chose par exemple au niveau de l'abdomen, mais on n'avait pas de repères dans les anses abdominales alors on piquait à l'aveuglette. Un jour un type a perdu connaissance devant moi après une infiltration dans l'abdomen. J'ai vérifié que l'air était bien passé. Avec mon stéthoscope j'entends alors un bruit épouvantable, un souffle comme on en n'entend pas deux fois dans sa vie. J'avais dû atterrir dans un vaisseau et l'air insufflé filait directement dans son cerveau. La mort était au rendez-vous dans les secondes qui allait suivre. J'ai aussitôt réagi en improvisant une manoeuvre peu orthodoxe. J'ai fait retourner le malade pour obliger l'air à emprunter le trajet contraire. On l'a aussitôt mis la tête au sol et les pieds en l'air comme une bougie humaine.
Moi : et alors ?
Vieil homme : au bout de dix minutes l'homme est sorti de son inconscience, a dit qu'il allait mieux et on l'a assis. Mes patients qui étaient autour ont tout vu et beaucoup apprécié de voir ce mort repartir sur ses deux pieds. Ça a été très positif pour le service et très thérapeutique. Ce fut un jour exceptionnel. Je n'ai plus jamais eu l'occasion de pratiquer cette mesure d'urgence.
Moi : pourquoi cette technique est si risquée ?
Vieil homme : Dans le pneumothorax on a la radio de contrôle mais dans l'abdomen, on avance en aveugle, on est dans le noir. Ça n'était pas raisonnable de faire ça. Vous savez que le pneumothorax était très bien payé ? 15 francs, c'était un vrai pactole car vous pouviez en faire cent dans la semaine.
Moi : racontez-moi un autre cas que vous allez présenter.
Vieil homme : On était aux tous débuts de la streptomycine. Je pique un gars et la personne tombe morte sur le champ. C'était un des effets secondaires. La perte de l'audition en était un autre. J'avais une jeune femme musulmane très cultivée et j'obtenais de très bons résultats avec le pneumothorax, mais hélas elle perdait l'ouïe au fure et à mesure, quelle pitié. Hé bien pensez-vous, elle me remerciait en permanence parce que je la sauvais de la tuberculose !
Moi : encore un autre cas ?
Vieil homme : d'accord. Les lésions de la base des poumons sont toujours plus graves. La tuberculose avait toujours la gentillesse d'attaquer d'abord le haut du poumon. Mais j'avais deux malades qui avaient des perforations à la base de chaque poumon et ils avaient toutes les chances de passer rapidement de vie à trépas. Mon collègue n'a pas hésiter à leur faire un trou d'environ trois centimètres dans chaque poumon !
Moi : avec quoi ?
Vieil homme : heu...une brosse à dents ... Ha ha ha... je rigole !
Moi : ...? ha ha ha
Vieil homme : ça m'a fait plaisir de vous faire rire. C'était deux campagnards très frustres. En les mettant ensemble, on se disait qu'ils parleraient de leurs vaches et de leurs couvaisons plutôt que de leur maladie. Dans les trous on voyait du noir et des trucs qui bougeaient...
Moi : c'était quoi ?
Vieil homme : La tuberculose à l'oeuvre. Et surtout, on entendait des petits sifflements très originaux. Ça faisait comme ça Shuuuuittttt. C'était l'air qui bullait à travers les bronchioles vers extérieur. Hé bien chacun des paysans avait un chuintement différent, étonnant non ? On leur injectait des liquides pour boucher ces trous immondes faits par la tuberculose. Au fait vous connaissez BP ?
Moi : British Petroleum ?
Vieil homme : mais non voyons, je voulais dire BK...
Moi : Bernard Kouchner ?
Vieil homme : mais non, il s'agit de l'allemand Robert Koch qui a découvert le bacille de la tuberculose. On dit BK pour le fameux Bacille de Koch que l'on prononce Korrrrrr
Moi : c'est passionnant mais je vais devoir vous laisser car je dois partir à mon rendez-vous maintenant...
Vieil homme : une dernière chose. Dans mes rêveries du matin, j'ai écrit un drame supposé romain. Selon moi c'était assez réussi. Cinq personnages romains donc, essayaient de fonder une famille. Hélas l'un d'eux tirait partie de la situation et il y avait une succession de tuerie, chose banale à Rome. Seul l'empereur avait du pouvoir sur ce fâcheux dont la technique consistait à envoyer quelqu'un dire à son voisin "suicide-toi et tu auras des avantages". J'admire la polyvalence des artistes de cette époque.
Moi : je vous laisse avec votre émission sur les éléphants.
Le vieil homme se souvient de la tuberculose (16)
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