Moi : vous avez vu ? C'est votre petit fils qui joue en ce moment sur scène !
Vieil homme : oui et j'en suis très fier. Cette lutherie électronique m'intrigue beaucoup !
Moi : tous ces pads et claviers sont reliés à son ordinateur. Ça pulse, hein ? Vous entendez bien ? Hé, vous m'entendez ?
Vieil homme : oh à peu près, mes piles sont neuves. Je trouve que c'est très rythmé comme musique, mais que cela manque peut-être de mélodies.
Moi : mais vous en pensez quoi ?
Vieil homme : c'est un peu extrême, expérimental et sauvage pour moi. Ce n'est pas une musique facile. Je dirais que ça touche à l'essence de la musique. C'est sans doute de la pure musique. Les sons sont profonds, recherchés, très profonds même. On dirait qu'ils viennent de nos tripes, et mon colon sait si j'écoute mes tripes ! Il y a des musiques impénétrables et inaudibles comme celle de Boulez, mais après trois séances hop ! on les comprend. Non... avec Boulez ça n'est pas vrai, c'est un mauvais exemple, on ne comprend rien et ça reste inaudible, ha ha ha.
Moi : et à part ça comment s'est déroulée votre journée ?
Vieil homme : savez-vous que ce matin, deux femmes m'ont sauté dessus pour m'arracher mes vêtements. J'ai résisté, on s'est battu, mais elles ne voulaient pas de sang car ça laisse des traces. Elles s'appellent Justine et Lisette comme dans les mauvaises opérettes.
Moi : en fait vous parlez de Kadicha et Leila, deux aides soignantes formidables qui vous font la toilette.
Vieil homme : si vous le dites... Je vérifierai tout de même auprès de la direction, leurs états de service, leurs diplômes et leur honorabilité.
Moi : et que pensez-vous des activités proposées dans cette maison de retraite ?
Vieil homme : hé bien je ne suis pas mécontent de moi, car je vais faire une conférence devant l'ensemble des pensionnaires, sobrement intitulée "Souvenir de tuberculose", puisque j'ai eu cette chance à la fois d'attraper la tuberculose, de ne pas en mourir, de rencontrer ma femme au sanatorium et de devenir pneumologue. Ah ! Une question me taraude : rappelez-moi le nom de cette danse savante qui m'a justement permis de choisir ma femme et qui consiste à marcher en droite ligne...?
Moi : le tango ?
Vieil homme : mais non, voyons !!!
Moi : alors le passo doble ?
Vieil homme : c'est ça ! Incroyable, vous connaissez cette antiquité ? Hé bien juste avant de rencontrer ma femme, et avec un demi poumon en moins, une femme beaucoup plus jeune que moi, m'a éreinté en m'embringuant dans cette danse rectiligne !
Moi : vous étiez donc un tombeur !?
Vieil homme : à ce sujet, il faut que je vous révèle quelque chose. Rapprochez vous. Honorine et Cosette, les deux filles sus-dites, qui me sautent dessus le matin, me font des choses...déplacées. L'une d'elle me tâte les testicules et le robinet. Ça n'est pas désagréable ma foi, et je ne m'en offusque pas sur le moment, mais tout de même, est-ce bien nécessaire à mon âge ?
Moi : elle ont la tâche de vous laver, aussi c'est normal qu'elles vous passent un gant partout. Indirectement vous les rétribuez pour ça, en payant chaque moi la maison de retraite.
Vieil homme : vous croyez vraiment que je les paye pour ça !? Comme c'est admirable !
Moi : ha ha ha.
Vieil homme : et dites moi, vous qui avez toujours une réponse rassurante prête à fuser, figurez vous que dans la matinée a surgi dans ma cagna, un petit japonais au regard fuyant, porteur d'un étrange récipient. Il plongeait régulièrement ça petite main au fond du machin et distribuait des boules rouges métalliques par poignées, comme la semeuse de Millet.
Moi : vous m'intriguez ! Ne faut-il pas traduire ça rationnellement par "infirmier distribuant des médicaments à partir d'un pilulier"
Vieil homme : vous êtes confondant ! Le problème c'est que dans ma maladie, on ne doit pas toucher de métal...
Moi : vous parlez du tétanos ?
Vieillard : non le tétanos n'a rien à voir avec le métal ou la rouille, la bactérie tétanos vit dans la terre ou la poussière !
Moi : alors voulez-vous parler du saturnisme ?
Vieil homme : hé oui ! Toucher du plomb est facteur de débilisme mental. Je sens bien que tout ne tourne pas rond là-haut...Un de mes amis archéologue pense que la chute de l'Empire Romain vient de leurs canalisations et de leurs vaisselles en plomb !
Moi : Ah ! Saturne, je te reconnais, vieillard courbé sous le poids du temps !
Vieil homme : hé hé ! Hé bien je pensais avoir cette maladie, mais je ne l'ai pas. Je suis comme mon père qui, toute sa vie, s'est cherché une maladie et qui est sans doute mort de ne pas la trouver... Dans ma maladie, les patients saignent abondamment, finissent pas manquer de fer, notamment les chinois qui achètent l'acier du monde entier, et ils meurent tranquillement. Ce n'est pas de la science-fiction. En Israel par exemple, ils sont dingue de la dinde. Comme ils ne mangent pas de porc ce gros oiseau constitue leurs protéines. C'est drôle, le porc est la bête noire, enfin rose, des juifs et des musulmans !
Moi : houlala, il y a carambolage d'idées sur votre périphérique neuronal et je ne vous suis plus. J'ai eu l'impression que vous me parliez aussi de l'hémophilie, non ?
Vieil homme : que vient faire ici Ophélie ?
Moi : ...?
Le vieil homme assiste à son premier concert électro à 93 ans (14)
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